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16 juin 2013 7 16 /06 /juin /2013 10:45

D'innombrables réactions cellulaires doivent être coordonnées pour que le cerveau fonctionne correctement. Et pourtant, le hasard joue un rôle essentiel dans ce système parfaitement organisé.

Silvio Rizzoli, Benjamin Wilhelm et William Zhang

Nous pensons, éprouvons des sensations et des émotions, et agissons grâce aux 100 milliards de neurones qui se trouvent dans le cerveau humain. Tout comme les employés d'une grande entreprise, les neurones se partagent les tâches en fonction de leurs domaines de compétence. Ainsi, chaque neurone remplit une fonction bien définie. Mais, comme une entreprise, le cerveau ne peut fonctionner que si les différentes parties communiquent efficacement. Quels sont les mécanismes sous-jacents qui assurent cette communication ?

Les neurones transmettent les signaux sous forme d'impulsions électriques, nommées potentiels d'action. Ces derniers se propagent le long de prolongements cellulaires qui ressemblent à de longs filaments, les axones, au bout desquels se trouvent de petits bourgeonnements, les boutons ou terminaisons synaptiques. Chaque neurone est connecté à d'autres neurones par plus de 10 000 de ces points de contact. Il existe deux types de synapses qui se distinguent par le mode de transmission de l'information : les synapses électriques, relativement rares, et les synapses chimiques, beaucoup plus abondantes(voir l'encadré page 70). Dans le premier type, le signal électrique est directement transmis entre deux neurones par des points de contact entre les membranes cellulaires. Ces synapses transmettent, par exemple, l'information électrique entre les cellules du muscle cardiaque et permettent ainsi la contraction coordonnée du cœur.

Signal électrique et signal chimique

Toutefois, la plupart des neurones du corps humain présentent des synapses chimiques. Dans ces espaces interneuronaux, une fente d'à peine 20 nanomètres sépare la cellule émettrice de la cellule réceptrice. Puisque les potentiels d'action ne peuvent pas franchir cette fente, ils sont d'abord convertis en signaux chimiques sous forme de neurotransmetteurs libérés dans la synapse qui, eux, franchissent facilement l'obstacle. Avant d'être libérés par le neurone émetteur, ces neurotransmetteurs sont concentrés dans ce que l'on nomme des vésicules, de petits sacs membranaires sphériques.

Dès qu'un potentiel d'action arrive, les vésicules fusionnent avec la membrane de la terminaison du neurone présynaptique, et s'ouvrent vers la fente synaptique, où elles libèrent les neurotransmetteurs qu'elles contenaient. C'est le mécanisme d'exocytose(voir l'encadré page 66). Les petites molécules de neurotransmetteurs diffusent dans la fente et se lient à leurs récepteurs localisés dans la membrane de la cellule réceptrice, le neurone postsynaptique. Cette liaison déclenche à son tour une cascade de réactions qui reconvertit ce signal chimique en impulsion électrique ; ce potentiel d'action se propage dans ce neurone récepteur jusqu'à ses propres synapses – et tout recommence. Le signal produit au niveau du neurone récepteur inhibe ou active ce dernier selon les cas.

La fonction d'une vésicule ressemble à celle d'un facteur qui transmet des informations sous forme de lettres. Pour que le flux d'informations ne s'interrompe pas, le facteur doit acheminer chaque jour de nouveaux messages. Pour les vésicules, c'est pareil : après avoir fusionné avec la membrane plasmique et libéré leur contenu dans la fente synaptique, elles se reforment à l'intérieur du neurone par invagination de la membrane présynaptique – un processus nommé endocytose (voir l'encadré ci-dessous). Elles se remplissent à nouveau de neurotransmetteurs, prêtes à intervenir pour de nouvelles transmissions de signaux électriques.

Mais comment ces sphères arrivent-elles à destination ? Les neurobiologistes savent depuis longtemps qu'en plus des vésicules recyclées, de nouvelles vésicules sont produites dans le corps cellulaire des neurones. Celles-ci migrent le long des axones à l'aide de protéines sur de longues structures ressemblant à des rails, les microtubules. Si ces mouvements étaient connus, on ne comprenait pas comment les vésicules se déplacent dans les terminaisons synaptiques. Une des principales raisons de cette ignorance tient aux dimensions de ces petites sphères : avec un diamètre d'environ 50 nanomètres, elles sont invisibles en microscopie classique. Les chercheurs peuvent certes les observer à l'aide de la microscopie électronique, mais cette technique ne permet pas d'examiner des tissus in vivo et n'est donc pas utile pour étudier des mouvements.

Pour rendre visibles des structures aussi petites que les synapses, les biologistes utilisent la microscopie à fluorescence. Dans cette technique, on marque certains composants des tissus avec des molécules fluorescentes et on les active avec de la lumière d'une longueur d'onde définie. Les particules émettent alors une lumière et apparaissent sous le microscope comme des structures lumineuses (voir l'encadré page 69).

Toutefois, la résolution de la microscopie à fluorescence classique est limitée à quelque 200 nanomètres. Cette limitation est une conséquence de la longueur d'onde de la lumière utilisée. Plus la longueur d'onde de la lumière qui illumine l'échantillon est courte, plus la résolution de l'image est bonne. Voir des vésicules, c'est un peu comme essayer de remplir les carrés d'un papier millimétré avec un crayon gras et à mine épaisse. Quand on examine des vésicules par microscopie à fluorescence, les régions voisines de la synapse apparaissent également fluorescentes. Cette technique n'est donc pas adaptée pour suivre le mouvement précis des vésicules.

Mais au cours de ces dix dernières années, les chercheurs ont fait des grands progrès dans le domaine de la microscopie à haute résolution, nommée « nanoscopie ». Une des techniques innovantes a été développée par le physicien Stefan Hell, de l'Institut Max-Planck de chimie biophysique à Göttingen. Elle s'appelle microscopie STED (de l'anglais Stimulated Emission Depletion, c'est-à-dire déplétion par émission stimulée) et est fondée sur le principe de l'émission stimulée, déjà postulée en 1917 par Albert Einstein. L'échantillon est éclairé avec un premier rayon lumineux et un second rayon, nommé « rayon STED », est superposé. Ce dernier diminue la surface visible – tout comme une gomme enlèverait la couleur qui aurait débordé du carré du papier millimétré. La résolution du microscope est ainsi augmentée d'un facteur dix environ.

À l'aide de cette technique, nous avons même pu suivre le mouvement de vésicules isolées. Nous voulions savoir par quel chemin et à quelle vitesse ces petites sphères atteignent leur site d'ancrage sur la membrane présynaptique. En 2008, nous avons donc fait pousser des neurones issus de l'hippocampe de rats sur de minces lames de verre. Nous avons laissé les lames pendant 10 à 20 jours dans un milieu nutritif à 37 °C pour permettre aux neurones de former des connexions synaptiques. Nous avons ensuite marqué les vésicules avec un colorant fluorescent et nous les avons filmées sous un microscope-STED.

Les longues migrations des vésicules

Nous avons été surpris de constater que les sphères se déplaçaient apparemment au hasard dans la terminaison synaptique ; elles changeaient très souvent de direction(voir la figure 2). Un grand nombre des vésicules filmées, surtout celles qui se trouvaient dans le réservoir des vésicules, ne bougeaient quasiment pas, tandis que d'autres traversaient très rapidement la terminaison synaptique. Leur vitesse pouvait atteindre jusqu'à huit micromètres par seconde – une vitesse considérable étant donné que le diamètre de la synapse est d'environ un micromètre ! Cependant, comme le chemin des vésicules était aléatoire, leur déplacement net vers la membrane restait limité.

Qui plus est, nous avons remarqué que les vésicules ne bougeaient pas seulement à l'intérieur de la terminaison synaptique, mais s'échangeaient entre synapses voisines(voir l'encadré page 68). Ainsi, chaque minute, environ 60 vésicules entraient dans une terminaison et en sortaient. Le mouvement entre terminaisons ne semblait pas non plus être directionnel : les petites sphères changeaient apparemment de sens de façon aléatoire.

Beaucoup de trafic passif

Pour déterminer si les mouvements sont guidés par une simple diffusion ou suivent des « rails », comme c'est le cas pour leur transport dans l'axone, du corps cellulaire vers les synapses, nous avons utilisé des inhibiteurs spécifiques détruisant les microtubules et les filaments d'actine des neurones. De nombreuses composantes cellulaires sont transportées le long de ces protéines filamenteuses. Nous avons montré que même si les inhibiteurs réduisaient la mobilité de certaines sphères, ils ont peu modifié le trafic. Nous en avons conclu que certaines vésicules sont transportées activement, mais que la majorité se déplace par diffusion.

Si les neurotransmetteurs bougent apparemment de façon aléatoire dans les synapses, comment est-il possible que notre système nerveux transmette aussi rapidement et précisément des informations ? Est-ce que ce sont les potentiels d'action qui mettent de l'ordre dans le système ? En 2010, pour tester cette hypothèse, nous avons filmé le mouvement de vésicules pendant que nous stimulions électriquement les cellules. Pour ce faire, nous avons placé la lame de microscope avec les neurones entre deux électrodes. Dès que nous activions le courant, le champ électrique produit sur la lame déclenchait des potentiels d'action dans les neurones. Ces derniers se propageaient très rapidement dans le tissu nerveux. Nous avons observé le mouvement des vésicules pendant la stimulation, et juste après.

L'intérêt des processus aléatoires

Nous avons constaté que les vésicules n'étaient pas du tout influencées par l'arrivée des potentiels d'action : elles continuaient à se déplacer apparemment au hasard dans la vésicule synaptique ou restaient immobiles. Seules les vésicules situées à proximité immédiate de la fente synaptique fusionnaient avec la membrane présynaptique et libéraient leur contenu dans la synapse.

Étant donné la précision du fonctionnement du cerveau, on pensait que tous les processus sous-jacents étaient minutieusement contrôlés et structurés. Nos observations en microscopie STED montrent au contraire que la transmission des signaux repose sur des mécanismes aléatoires. Elle est pourtant d'une grande efficacité, car quelques vésicules synaptiques sont toujours en mouvement, c'est-à-dire qu'il y en a toujours suffisamment à proximité de la membrane présynaptique, prêtes à fusionner et à libérer leur contenu dès qu'un potentiel d'action arrive. C'est pourquoi le processus de fusion membranaire n'a pas besoin d'être contrôlé d'une façon plus rigoureuse.

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commentaires

V
Oh great! I don’t think it is easy to understand the motive of the movement. First of all, it is important to assess the objective. Try to figure out if the movement is guided by a simple diffusion.
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